
Scène de la vie quotidienne
Sous mes jeux effarés, une scène de la vie quotidienne banale s’est déroulée. Cette France devient vraiment insupportable
Deux « jeunes », grands, minces, 15, 16 ans, d’origine subsaharienne, sont sur une bicyclette vélib rue du Commerce dans le 15e arrondissement à Paris. L’un pédale à toute vitesse assis sur la selle. L’autre se tient debout, pieds posés en équilibre sur les pignons de la roue arrière, les mains appuyées sur les épaules du premier. La petite rue parisienne est vaguement embouteillée. Ils grimpent sur le premier bateau pour foncer sur le trottoir en zigzaguant. Evidemment les piétons apeurés se rangent sans rien dire. Une grand-mère promenant son petit-enfant qui n’a pas eu le réflexe de se pousser, s’exclame simplement après qu’ils l’ont frôlée : « Ne roulez pas sur le trottoir! ». « Ta gueule, la vieille! » fut la réponse qu’elle dut essuyer. « Oh! » fit-elle, moins choquée que pour montrer à son enfant que c’était une façon de s’exprimer scandaleuse.
Evidemment ils auraient pu renverser n’importe qui. Ils disparurent en se dirigeant supposément vers la dalle de Beaugrenelle, repère de brigands, non de racailles comme on dit maintenant, où par le passé un mineur trouva la mort. Cette scène de la vie quotidienne est tout ce qu’il y a de plus banale. Elle m’a choqué sur le coup mais je me rends bien compte qu’au milieu de l’ensauvagement de la France elle ne représente strictement rien, juste des voyous mal élevés, pas élevés, qui insultent une dame âgée. Dans le contexte actuel, vu l’état de la société française, c’est peanuts. On ne s’intéresse au malheur de nos concitoyens que lorsqu’ils sont tabassés gratuitement, violés ou tués. Insultés? C’est gentillet!
Si personne ne conteste le mot ensauvagement, c’est ce qu’il veut dire concrètement que l’on ne perçoit pas toujours. Parce qu’on porte des œillères, parce qu’on a de la chance jusque là, parce qu’on vit sur un bout de France encore protégé, le drame qui s’insinue jour après jour dans notre vie, est perçu avec un petit temps de retard. On en prend conscience, mais après. La peur se répand, tombe sur chacun d’entre nous comme une nappe de brouillard qui descend de plus en plus bas. Quand on se réveillera vraiment, ce sera la fin, on ne sera plus que des morts en sursis! Chaque scène de la vie quotidienne retentit comme une sirène annonçant un bombardement. Et puis, tout est en ruine.
Frédéric Le Quer
Sous mes jeux effarés, une scène de la vie quotidienne banale s’est déroulée. Cette France devient vraiment insupportable Deux « jeunes », grands, minces, 15, 16 ans, d’origine subsaharienne, sont sur une bicyclette vélib rue du Commerce dans le 15e arrondissement à Paris. L’un pédale à toute vitesse assis sur la selle. L’autre se tient debout, pieds posés en équilibre sur les…