Enlève la mezouza !

-Enlève la mezouza ! Demanda-t-elle à son époux.

Ce petit étui collé sur le chambranle de la porte palière devenait une cause de tension dans le couple habituellement uni. Il indiquait la judéité de la famille vivant dans l’appartement. Mais Rachel avait dorénavant peur. Le couple vivait en France de tout temps. Les grands-parents d’Eric, son mari, étaient, juste après-guerre, partis de Tunisie pour s’installer à Aubervilliers. Ses parents avaient tenté de nombreuses années l’aventure de la vie en kibboutz puis découragés par les promesses d’un logement jamais honorées des autorités israéliennes, ils étaient définitivement rentrés en France avec le fils aîné. D’autres enfants naquirent sur le sol français. Tous furent élevés non seulement dans le respect du pays d’accueil mais avec le sentiment profond d’être français.

-Je ne peux pas, répliqua Eric. Si je fais ça, je n’ai plus qu’à partir.

Il vivait un déchirement. Eric se sentait tout aussi juif sans pour autant être religieux qu’il se sentait français. Rester sans la mezouza ou aller en Israël étaient dans les deux cas un renoncement. Mais Rachel était terrifiée aussi bien dans l’autobus pour se rendre au travail le matin puis en repartir le soir, que maintenant chez elle. Ces étoiles de David peintes au pochoir sur les façades d’immeuble, ces portes de familles juives incendiées, ce cri terrifiant d’Allah akbar qu’elle avait déjà entendu une fois dans le métro et qui lui glace encore le sang, cette atmosphère de retour vers le nazisme lui donnaient l’impression qu’elle n’avait plus rien à faire en France, sinon prendre de mauvais coups.

Lui aussi avait peur au fond de lui. Jamais il aurait cru possible cette ignoble dérive en Europe. Il sentait bien que les reportages des médias étaient sinon orientés contre Israël et automatiquement par assimilation contre toute la communauté juive, du moins, plus insidieusement, favorables à leurs ennemis. Et pourtant ces derniers avaient commis de telles atrocités! Que fallait-il donc pour que son peuple soit soutenu?

Le soir avant de s’endormir, il écoutait Cnews pour garder l’espoir que tout n’était peut-être pas perdu. Cette chaîne de télévision était la seule à les soutenir, eux les juifs. C’était la seule à avoir renoncé à au moins dix millions de téléspectateurs musulmans pour prendre partie pour le petit million d’israélites vivant en France. Un milliardaire breton en avait décidé ainsi et la rédaction avait suivi, un peu comme les résistants de l’île de Sein étaient parti à Londres rejoindre De Gaulle.

Mais une hirondelle ne fait pas le printemps. Pas tout de suite. Alors? Trop vieux pour recommencer sa vie et trop jeune pour prendre sa retraite, il ne savait plus où se tourner.

-Enlève la mezouza, Eric ! J’ai peur.

Frédéric Le Quer

-Enlève la mezouza ! Demanda-t-elle à son époux. Ce petit étui collé sur le chambranle de la porte palière devenait une cause de tension dans le couple habituellement uni. Il indiquait la judéité de la famille vivant dans l’appartement. Mais Rachel avait dorénavant peur. Le couple vivait en France de tout temps. Les grands-parents d’Eric, son mari, étaient, juste après-guerre,…

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